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Utiliser les émotions

Enseignements de Tarab Tulku XI présentés par Lene Handberg.

Gérer ses émotions d’une façon positive d’un point de vue psychothérapeutique pour le développement personnel et/ou spirituel. Une approche Unité dans la Dualité.

La nature des émotions

Dans la perspective bouddhiste, les émotions s’élèvent à cause de l’attraction et du rejet. Nous sommes attirés par ce dont nous avons besoin pour que notre entité puisse survivre avec son identité/autoréférence et nous rejetons tout ce qui semble menacer la continuité de cette identité/autoréférence. Cela s ‘applique à tout ce qui se trouve dans l’existence duelle et samsarique.

Le vaste champ des émotions et des sentiments ne s’élève et n’évolue que sur la base de nos identités / autoréférences et ce n’est qu’à un niveau élevé de développement évolutif comme le nôtre que cet instinct de survie peut se développer en émotions.

Les émotions sont liées aux trois types d’esprit : l’esprit conceptuel, la conscience du ressenti et l’esprit imaginal. L’émotion elle-même est une expression de la conscience du ressenti. Mais lorsqu’on parle d’émotions, on a souvent du mal à faire la différence entre le ressenti et l’idée conceptuelle qu’on s’en fait, qui projette la réalité conceptuelle sur l’autre comme étant « mauvais ». Et nous confondons souvent notre expérience par l’esprit imaginal avec ses projections conceptuelles du « mauvais » objet avec ce que nous percevons vraiment par nos yeux physiques.

Sous l’emprise d’une émotion, c’est la dynamique de ces trois fonctions de l’esprit, basée sur un ressenti vulnérable de nous-mêmes qui fait que le ressenti original se manifeste et se développe en une réaction émotionnelle gonflée comme un ballon. Se dire conceptuellement que la personne est « mauvaise » maintient l’expérience / la situation déplaisante. De plus, lorsqu’on est totalement identifié à l’expérience de l’image mentale plutôt qu’à la réalité sensorielle actuelle, alors l’apparence mentalement créée devient réelle pour nous. Il est probable que chacun d’entre nous ait dit : « mais je l’ai vu de mes propres yeux » et l’ai pris pour preuve finale. Cette solidification des « mauvais » aspects de la situation – comme s’ils étaient « la vérité, rien d’autre que la vérité » – alimente l’émotion qui développe alors un ressenti de plus en plus fort avec sa réaction inévitable.

Utilité des émotions

Dans notre vie ordinaire cependant, il semble qu’une certaine quantité d’énergie émotionnelle puisse entraîner un succès. Si on observe les personnages dirigeants de notre société, on voit que nombre d’entre eux ont apparemment découvert comment utiliser l’énergie émotionnelle passionnée d’une façon constructive. Du point de vue spirituel, dans la pratique tantrique, l’énergie fondamentale est utilisée d’une façon particulière pour progresser sur le chemin spirituel. Donc, à la fois dans la vie ordinaire et dans l’expérience spirituelle du yoga, l’énergie fondamentale des émotions, qu’on la qualifie de positive ou de négative, peut être très utile.

Le point central

Dans la perspective bouddhiste, qu’est-ce qui, dès le début, permet à l’émotion de s’élever ? Comme je l’ai déjà dit, les émotions négatives s’élèvent lors de la perception d’un manque dans ce dont on a besoin pour soutenir notre entité et notre identité / autoréférence, ou lorsqu’on fait l’expérience d’une menace ou d’une attaque.

Nous avons plusieurs sortes d’identités / auto références et certaines d’entre elles sont solides et donc pas facilement attaquées alors que d’autres, reposant sur l’esprit conceptuel et donc superficielles, nécessitent plus d’appui et de soutien pour conserver leur identité. Nous avons créé de nombreuses stratégies pour soutenir ces identités / autoréférences vulnérables, certaines d’entre elles remontent à la petite enfance.

Lorsque nous nous identifions avec une de ces identités / autoréférences vulnérables, nous devenons fragiles. De petites choses « nous tapent sur les nerfs » et nous pouvons facilement devenir émotionnels. Cependant, comme nous ne voyons pas l’influence de nos propres vulnérabilités, nous réagissons comme si la situation s’était entièrement produite « à l’extérieur » et ainsi, nous projetons la totalité du problème sur la cause perçue : la personne qui me rend jaloux ou la situation qui me met en colère, etc.

Du point de vue U.D., les émotions sont naturelles et protègent ce à quoi notre centre existentiel ressenti s’identifie à ce moment. Mais si nous pouvions nous arranger pour ralentir l’émotion – le ressenti physique et mental – et la ressentir, cela pourrait nous conduire au cœur du problème, l’autoréférence blessée.

Utiliser les émotions

D’après U.D., au lieu d’éclater émotionnellement, nous avons d’autres possibilités bien plus constructives. Elles vont de « rester » avec le ressenti jusqu’à une transformation totale des ressentis de soi-même vulnérables ou blessés sous-jacents – qui nous empoisonneront l’expérience de la vie jusqu’à ce que nous les apaisions ou les déracinions.

La première étape est de rester avec la sensation originelle d’être gêné ou attaqué et de permettre à ce ressenti négatif de se rapprocher. On ne peut faire cela que si on n’accorde plus de crédit à l’idée conceptuelle de la situation extérieure. Ne pas faire cela ne ferait que réprimer le ressenti originel de l’émotion au lieu de le libérer.

Comme nous ne pouvons pas tout nommer mais devons être sélectifs lorsque nous utilisons les mots, lorsqu’il est guidé par une émotion, l’esprit conceptuel nomme automatiquement les aspects négatifs de la situation. Sur cette base, une image inappropriée et partielle nourrit l’émotion naissante. Rester avec le ressenti physique nous permet de contacter le sens du ressenti corporel et ainsi de recadrer la réalité perçue qui a provoqué notre détresse et une expression dans l’action inadéquate.

En d’autres termes, s’enraciner au moyen du ressenti corporel est un outil très utile pour briser le cercle vicieux du développement de l’émotion. Nous avons des dictons comme : « respire à fond », « compte jusqu’à dix », « reviens sur Terre » ou « reprend tes sens » qui disent la même chose.

D’après la psychologie Unité dans la Dualité, la deuxième étape est de prêter attention au ressenti corporel pendant l’expérience de gêne / d’agression et de retourner au ressenti mental sous-jacent à l’identité / l’autoréférence vulnérable. Si nous pouvons faire cela, nous pouvons, en fait, utiliser l’émotion ou « mauvais ressenti autoréférentiel » pour découvrir une des structures imprimées fondamentales, qui « rend notre vie misérable ». Lorsqu’on est en contact avec cette structure d’autoréférence vulnérable, il est possible d’utiliser soit la méthode duelle soit la méthode non-duelle pour sa transformation.

La transformation duelle

La transformation duelle peut utiliser soit des ressources internes, soit des ressources externes. L’utilisation des ressources externes se rapporte au premier degré des pratiques de déité dans le Bouddhisme, telles que recevoir l’amour/compassion, la force / le soutien et la sagesse de la divinité. Elle se rapporte aussi aux méditations sur toute représentation religieuse ou tout symbole ayant les qualités d’amour/compassion, de force et de sagesse. Si on n’a pas de source religieuse personnelle active d’amour et de compassion, on peut avoir un ami cher ou l’amour de la nature ou de toute personne – réelle ou imaginaire – ou même d’un animal – qui peut nous amener au contact d’une force et d’un soutien profond – qui sont les subtiles qualités de l’amour.

La transformation duelle utilisant une ressource interne implique de contacter toute expérience de nous-mêmes qui nous met en contact avec un ressenti de nous-même plus profond et plus enraciné. Si nous pouvons entrer en contact avec un ressenti corporel positif, en particulier vers le milieu du corps ou près de la colonne vertébrale, cela nous permettra de contacter un ressenti de nous-mêmes plus fort et plus authentique. Si nous pouvons ressentir notre énergie centrale, ou une sensation d’amour liée au chakra du cœur, cela nous mettra en contact avec une expérience de nous-mêmes stable et sans peur. C’est une bonne raison qui fait que le chakra du cœur soit tellement mis en avant comme ressource spirituelle dans toutes les cultures.

Si nous voulons approfondir la transformation duelle du ressenti autoréférentiel vulnérable, alors encore, il est important de distinguer entre la conscience du ressenti et la conscience conceptuelle. On a besoin de l’esprit conceptuel pour nous dire quoi faire et peut-être comment le faire, mais pour vraiment transformer la sensation autoréférentielle vulnérable, on a besoin de s’appuyer sur une expérience de la conscience du ressenti – sinon, nous maintenons une distance avec le véritable centre à transformer. De la même façon, nous utilisons surtout la conscience du ressenti pour la méditation, les autres types de conscience servant à l’aider. Toute personne ayant essayé de méditer connaît les problèmes de l’interférence induite par l’esprit conceptuel lorsqu’il est dominant – nous éloignant de l’objet avec lequel nous essayons de créer une relation « ressentie ».

Après avoir effectué ces pratiques un certain temps, nous commencerons à nous rendre compte qu’à chaque fois, une sensation déplaisante et spécifique s’élève, – avec laquelle on s’identifie – je suis incapable de juger correctement la situation. Nous voyons que nous avons immédiatement projeté beaucoup de négativité sur l’ « autre » et nous comprenons qu’on aurait mieux fait de rester de rester avec le ressenti et de faire un travail de transformation avant d’agir. La réalisation de l’interrelation du sujet (esprit) et de l’objet (réalité) n’a pas de prix. La compréhension de l’interrelation entre l’autoréférence vulnérable – avec laquelle je m’identifie en ce moment – et de la façon dont je fais l’expérience de l’objet, de la situation ou de ma réalité, me donne le pouvoir de changer la totalité de l’expérience. C’est le début du chemin pour regagner la direction de sa vie. Gagner une commande intérieure de sa vie plutôt que d’être, comme d’habitude, tiré par les événements extérieurs.

La transformation non-duelle

La transformation non-duelle est la méthode spirituelle principale utilisée dans le Bouddhisme tibétain. D’après le Mahamudra, toute conscience a une nature pure a la base et la conscience fondamentale tout particulièrement. S’absorber à l’intérieur de cette pure nature de la conscience du ressenti en utilisant des méthodes non-duelles conduit à la « nature de l’esprit » fondamentale. C’est similaire à l’enseignement Dzogchen où la nature de l’existence est Rigpa, qu’on atteint en utilisant des méthodes non-duelles. Rigpa est en même temps la pratique la plus élevée, la réalisation la plus élevée et le but le plus élevé. De même, la nature de « vacuité » de l’existence, n’étant pas différente de la nature de Rigpa et de la « nature de l’esprit », est également atteinte au moyen de méthodes non-duelles.

A l’intérieur des Tantras, la façon dont les méthodes non-duelles sont utilisées ressemble au processus de la mort. Il est très fréquemment utilisé dans les pratiques tantriques les plus hautes telles que les pratiques du Mandala et des Six Yogas. Généralement, dans les Tantras, lorsqu’on change d’état – c’est-à-dire d’un état normal à un état méditatif et d’un état méditatif à un état méditatif plus subtil, ou de l’état d’éveil à l’état de rêve et de l’état de rêve à celui de « claire lumière » (qui ressemble à l’état de mort) – le yogi passe par un processus de transformation de l’autoréférence (l’identité qu’il veut quitter pour se manifester à un niveau plus subtil et plus pur) qui ressemble à la mort. Acquérir la maîtrise de cette transformation non-duelle est la clé de la pratique tantrique.

Avec U.D., nous utilisons la transformation non-duelle pour le développement personnel en utilisant le processus de la mort, un peu comme dans les pratiques tantriques. Dans ce contexte, nous ne sommes pas concernés par le changement d’état, mais essayons simplement de transformer l’autoréférence gênante en la laissant mourir. Dans un état imaginaire, en restant avec le ressenti autoréférentiel qu’on veut transformer, il va être attaqué. Si on reste encore, l’attaque va devenir de plus en plus sévère jusqu’à ce que le ressenti autoréférentiel vulnérable s’effondre littéralement et meure.

Cependant, la transformation non-duelle utilisée pour le développement suppose la connaissance et la pratique des méthodes duelles car il faut entraîner la concentration de façon à pouvoir rester avec le ressenti corporel et avec le ressenti de l’autoréférence vulnérable. Il faut aussi un certain degré de connaissance et d’expérience profonde de l’interrelation sujet-objet (comme vu plus haut), sans quoi il n’est pas possible de ressenti dans le ressenti autoréférentiel vulnérable lorsque l’attaque se fait plus forte – ce qui se produira lors du processus de transformation non-duelle. Il faut de la pratique pour rester avec ce processus naturel de destruction, sans se retirer dans une attitude défensive de l’autoréférence – en particulier lorsqu’il s’agit, comme ici, d’une autoréférence vulnérable. Aussitôt que nous entrons dans un mode défensif, le processus s’arrête.

La transformation duelle peut être effectuée dans une situation réelle – bien qu’avant de le faire il soit préférable d’avoir travaillé avec des situations passées à un niveau imaginaire. Il n’est pas possible d’entrer dans une transformation non-duelle dans l’action. On ne peut pratiquer la transformation non-duelle qu’à un niveau imaginaire, en état de méditation ou e état de rêve lucide, ce dernier lorsqu’on sait qu’on rêve. Il faut être entraîné et habituellement, il faut être guidé pour pouvoir atteindre un profond niveau de transformation non-duelle pour le développement personnel. De même, pour toute sécurité, le guide doit être entraîné et capable de travailler dans ces domaines.

En résumé :

Travailler avec les émotions, que ce soit en changeant le ressenti autoréférentiel ou en l’entraînant dans le processus de mort de la vulnérabilité, peut transformer l’émotion. D’élément destructeur qu’elle est normalement quand on la renforce en soutien de notre autoréférence vulnérable, elle peut devenir un moyen d’accès à ces structures problématiques fondamentales qui habituellement dirigent nos vies de manière inconsciente. C’est ainsi que les émotions négatives peuvent être libérées, donnant place à une dynamique créative, constructive et transformative.

TARAB TULKU XI (1934-2004), Guéshé Lharampa, Docteur en philosophie, 11ème incarnation de la lignée Tarab, a vécu et enseigné en Occident pendant plus de 30 ans. Sur la base de sa vaste connaissance et de sa profonde réalisation, Rinpoché a développé le système complet Unité dans la Dualité, incluant la science interne de l’esprit et de la réalité Unité dans la Dualité, l’art de la relation, le développement personnel et spirituel ainsi que les moyens psychothérapeutiques Unité dans la Dualité.

LENE HANDBERG, S.T.R. / grade supérieur d’Unité dans la Dualité. Assistante de feu Tarab Tulku XI, elle reçut de Rinpoché le lignage de l’éducation et de la recherche Unité dans la Dualité. Elle est présidente de Tarab Ling et de Tarab Institute Denmark et directeur de l’enseignement de Tarab Institute International.

Site web : www.tarab-institute.fr

Author: Lene Handberg